Eclairage de Laurent de Bourmont, Partner chez Argon & Co et de Samuel Demont, Directeur de la Digital Factory Argon & Co

La crise actuelle liée au Coronavirus met à rude épreuve la Supply Chain de tous les acteurs économiques. Elle présente des caractéristiques inédites auxquelles les processus de planification traditionnels ne savent pas répondre :

  • La concomitance d’une double rareté, celle de la demande et celle de l’offre : la demande des consommateurs a chuté de 35% en France depuis le 16 mars et les capacités productives sont elles aussi fortement entravées par les restrictions sanitaires directes (sites, usines et entrepôts fermés ou au ralenti) et indirectes (transport).
  • Un niveau d’incertitude maximal: après le ralentissement, voire l’arrêt brutal de l’activité lié aux mesures de confinement, nous entrons dans une période d’incertitude maximale sur le niveau et le rythme de la reprise d’activité. De très nombreux facteurs influent sur la demande : progressivité et modalités du déconfinement, niveau d’inquiétude des consommateurs, sanitaire bien sûr, mais aussi lié à l’évolution du chômage et du pouvoir d’achat, capacité de la main d’œuvre à reprendre le travail (et avec quelle productivité ?), niveau des stocks et capacités financières …

Dans un tel contexte, toute erreur sur l’allocation des ressources (stock de produit fini, capacité de production…) se paie au prix fort, empêchant l’entreprise d’aller capturer les opportunités de chiffre d’affaires qui commencent à réapparaître. Jamais les entreprises n’ont eu autant besoin de planifier et jamais la planification n’a été aussi difficile.

Cependant, la contrainte créant un environnement propice à l’innovation et la créativité, nous identifions avec les clients qu’Argon & Co accompagne dans tous les secteurs d’activité, des pratiques nouvelles et performantes de planification, qui feront la différence dans cette phase vitale de reprise d’activité.

Elles tiennent en 3 points majeurs :

  1. Retrouver une intelligence de la demande

Les modèles statistiques fondés sur les données historiques n’ont plus de sens à court terme. Les entreprises innovantes ont su créer une approche nouvelle de la prévision. Elle combine, grâce à la Data Science, des données externes (indice de déconfinement, trafic commercial physique et digital…) et des données internes (analyse des ventes et des déformations du mix des canaux de vente, analyse CRM par clusters de clients) pour générer des scénarios de demande réalistes.

Ces nouveaux processus de prévision reposent aussi sur une technique bien connue en environnement incertain : le croisement des niveaux d’observation, entre « macro » (famille de produit, grandes régions de commercialisation) et « micro » (SKU, marché), car certaines tendances ne sont intelligibles qu’à grande échelle. On appliquera certains facteurs à un niveau « macro » (ex : reprise du trafic dans les zones commerciales, liée au déconfinement) et on travaillera la prévision détaillée par propagation et ajustement (par exemple, en fonction des analyses de consommation par cluster client).

  1. Planifier en mode agile

La boucle de planification traditionnelle est généralement séquentielle, assez longue (la plupart des processus S&OP durent plus d’une semaine) et peu agile dans la constitution de scénarios. Avec la crise, il devient critique de renforcer l’agilité de la planification à travers les leviers suivants :

  • Gérer la multi-dimensionalité de façon intégrée : si la crise souligne à ce titre la criticité du processus de S&OP, elle en modifie aussi le rythme et le périmètre : le processus devient hebdomadaire là où il était mensuel, et il intègre toutes les dimensions : non seulement la demande, les stocks et les capacités industrielles internes, mais aussi les capacités des fournisseurs critiques, les capacités logistiques et transport et la projection du cash associée à chaque scénario, pour en évaluer l’impact financier. Les systèmes d’information multi-dimensionnels (de type EPM) sont là d’un grand secours, mais excel permet de gérer assez bien les mailles agrégées.
  • Raisonner par scénarios : dégager un jeu de scénarios (optimiste, pessimiste, neutre) permet d’évaluer la capacité de l’entreprise à affronter le pire ou le meilleur, et à prendre les mesures pour flexibiliser au maximum les contraintes, à la fois sur les capacités (polyvalence, pré-réservation, multi-sourcing, etc.) et sur les stocks (recentralisation et allocation tactique).
  • Avoir une approche par consensus d’experts : la prévision et la planification ne peuvent plus être automatisées, il est nécessaire de réunir les fonctions expertes (commercial, marketing, finance, supply, achat, industrie, RH, voire fournisseurs critiques) pour dégager un consensus ou des scénarios réalistes, tenant compte de toutes les dimensions.

  1. Renforcer la collaboration entre les fonctions

Dans la lignée du nouveau processus « S&OP », le niveau de collaboration requis entre les différentes fonctions de l’entreprise atteint un niveau inédit, compte tenu de l’aspect multi-dimensionnel des problèmes à résoudre. Cela passe par :

  • L’aplatissement des différences de langages entre les fonctions. Par exemple, la finance, le marketing et la supply chain doivent rapidement s’accorder sur la définition des indicateurs clés comme le chiffre d’affaires, la couverture des stocks, les marges et le BFR…pour élaborer des plans communs.
  • La mise en place de nouveaux rituels (comme le S&OP hebdomadaire) et la capacité à prendre rapidement des décisions difficiles (resserrement de l’offre produit, arrêt du lancement de nouveaux produits, priorités dans l’allocation des ressources), avec l’arbitrage de la direction générale.
  • La capacité du collectif de direction à mesurer les impacts de ses choix : chaque fonction doit apporter dans la discussion deux ou trois indicateurs-clés (ex : la projection du BFR pour la finance, l’efficacité commerciale – « sale rate » – des produits pour le marketing, l’OTIF pour la supply chain…) afin de concentrer l’analyse des scénarios sur l’essentiel.

Les entreprises ayant une supply chain complexe (multi-niveaux, avec des nomenclatures complexes et beaucoup de composants critiques) devront mettre en place une véritable « tour de contrôle » supply, qui permet de façon fine (à la SKU, au site de production, au fournisseur…) d’évaluer les conséquences des choix d’allocation des ressources sur leur capacité à servir la demande, en remontant toute la chaîne des nomenclatures et des opérations jusqu’aux commandes clients.

 

Conclusion : que restera-t-il de la crise ?

Argon & Co accompagne à court terme ses clients dans la mise en place de ces nouvelles pratiques de planification. Nous travaillons de façon très intégrée avec les équipes de nos clients, pour enrichir la réflexion et faciliter la conduite du changement.

Une des leçons de cette collaboration étroite est que la crise du COVID-19 portera des effets à moyen et long termes sur la transformation de la Supply Chain. Pour n’en citer que quelques-uns :

  • Un renforcement de l’orientation Supply Chain des entreprises, dans une vision étendue (par exemple, la collaboration et l’échange de données avec les fournisseurs), afin de gagner en visibilité de bout-en-bout
  • L’installation dans la durée du processus S&OP, là-aussi dans une version étendue (avec la finance, les RH…) en capitalisant sur la convergence des KPI et la capacité renforcée à élaborer des plans communs
  • Le renforcement des pratiques de multi-sourcing, pour sécuriser les approvisionnements des produits ou composants critiques

Autant de sujets sur lesquels nous préparons des interventions chez nos clients dans les mois qui viennent, en mobilisant les experts Supply Chain, Digital Factory, Achats et Transformation/Conduite du changement d’Argon & Co.

Auteurs

Laurent de Bourmont

Partner

laurent.de-bourmont@argonandco.com

Samuel Demont

Associate Partner

samuel.demont@argonandco.com

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